“La canne à sucre proviendrait des Indes où elle pousse à l’état sauvage et ce seraient, selon certains auteurs, les Espagnols et les Portugais qui les auraient transportées, d’abord aux îles de Madère et ensuite à la Nouvelle-Espagne et au Brésil. Mais, pour ma part, je suis persuadé qu’elle poussait à l’état naturel dans les îles car jamais les Espagnols n’ont séjourné assez longtemps pour en faire la culture. Ils n’y faisaient que de petites escales pour se ravitailler en bois et en eau douce.
Par contre, ils nous ont appris à en extraire le sucre comme ils l’avaient vu aux Indes et ce sont les Anglais qui, en 1643, à Saint-Christophe, furent les premiers à en faire.
Les Français de la même île ne tardèrent pas à les imiter.
La canne est un roseau de forte taille d’environ sept à huit pieds dont la peau est tendre et l’intérieur plein d’une matière spongieuse plus ou moins sucrée. La feuille est étroite, longue et pointue et se trouve située à la tête, en bouquet. Celle-ci n’est pas unie dans sa longueur mais se trouve partagée par des nœuds qui sont disposés à différents niveaux. La terre la plus fertile pour cette culture doit être légère, profonde et, surtout, bien exposée au soleil du matin jusqu’au soir. Celles qui se trouvent situées à la Cabesterre de la Martinique portent de grandes et belles cannes et je sais par expérience que deux livres et quart de leur sucre brut en rendent une livre raffiné sans compter les sirops. La saison de récolte va de janvier à juillet et les rejetons mettent environ dix-huit à vingt mois pour être bons à couper.
Les plants de canne sont disposés dans des fosses de sept à huit pouces de profondeur. On les recouvre alors de terre et, au bout de cinq ou six jours, on les voit se lever. Une souche peut durer dix-huit à vingt ans. Mais le terrain doit être tenu très propre et bien sarclé.
La canne doit être coupée à sa maturité, sinon le suc qu’elle donne n’est pas de bonne qualité. Cependant, elle est menacée par les rats et d’autres rongeurs, aussi convient-il de les faire chasser par des nègres qui posent des pièges pour les capturer. Mais ces rongeurs ne sont pas les seuls destructeurs ; il y a aussi les bœufs, les chevaux, les moutons, les cochons et également les nègres. En fait, tout ce qui risque de piétiner les plants.
Personnellement, je fus obligé de prendre certaines dispositions pour les en empêcher.
Lorsque le moment est venu de la récolte, on dispose, en frontière du champ, un rang de nègres munis de serpes et ils avancent en ligne en disposant derrière eux les cannes coupées en deux ou trois morceaux. Ces derniers sont ramassés et liés en paquets qui sont chargés à leur tour sur des charrettes qui les portent au moulin.
Ceux-ci servent à broyer la canne pour en extraire le suc. Ils sont mus soit par l’eau, le vent ou les bœufs.
La sucrerie proprement dite est une grande salle située à côté du moulin. C’est là où sont attachées les chaudières dans lesquelles on reçoit, on purifie et on réduit en sucre le suc des cannes.
Les chaudières au nombre de cinq ou six sont en cuivre rouge et sont chauffées avec le bois ou avec les feuilles des cannes abattues.
Chacune d’elles a son nom suivant sa fonction. Il y a la grande, la propre, la lessive, le flambeau, le sirop et la batterie. A chaque passage, le suc, grâce à la chaux, la lessive et la cendre, s’épure peu à peu et blanchit. Il y a également d’autres ustensiles, par exemple le rafraîchissoir, le bec de Corbin, l’écumoire, les couteaux à sucre, les louchers. Mais pour faire un bon sucre il ne suffit pas de les avoir tous.
Il faut surtout toute la science du raffineur qui doit savoir arrêter la dernière cuisson en fonction de la qualité et de la maturité des cannes.
Lorsque le sucre est complètement épuré, on le met dans des formes qui contiennent, après écumage, environ vingt à vingt-deux livres.
La culture et la raffinerie du sucre sont d’un excellent rapport, environ cinq fois plus qu’une terre cultivée en Europe.
On tire également de l’eau-de-vie des cannes, appelée par les indigènes guildive, et, par les nègres tafia. Elle est obtenue par distillation et l’esprit qui en sort est très fort et très violent.” (en 1694, le père Labat inventa l’alambic).
La culture de la canne à sucre telle qu’elle est pratiquée dans l’habitation sucrière demande une importante main-d’œuvre que la métropole n’est pas susceptible de fournir. Si la culture du tabac ou de l’indigo avait pu se faire avec les “engagés”, seule la traite d’esclaves noirs provenant des côtes de l’Afrique est susceptible de fournir les effectifs nécessaires à la culture de la canne à sucre. Les engagés venaient sous contrat avec un planteur pour une durée de cinq ans. Le planteur couvrait les frais du voyage et exigeait ensuite de l’engagé un travail semblable à celui de la main d’œuvre servile. Mais à la différence de l’esclave, si il réussissait à survivre aux terribles conditions de vie et de travail, il recouvrait sa liberté au bout des cinq années et se voyait allouer une terre pour devenir à son tour planteur. La culture de la canne est donc à l’origine de la mise en place du commerce triangulaire (Europe, Afrique, Amérique) qui entraîne rapidement l’afflux d’une population africaine servile vers les possessions françaises de l’Amérique, population qui dès la fin du XVIIe siècle dépasse rapidement et de beaucoup la population blanche des origines. Les amérindiens, dont on peut supposer que la densité de population était relativement faible, sont petit à petit repoussés vers la côte atlantique avant d’être finalement chassés dans les années 1760. Cependant une frange de cette population “caraïbe” demeure sur place dans un fort état d’acculturation se fondant petit à petit dans le reste de la population.
1925 : | Construction de l’usine sucrière de grosse Montagne et de la distillerie Simonet |
1929 : | Fermeture de l’usine sucrière Société Duval à Gros Cap (Petit-Canal). |
1970 : | Fermeture de la sucrerie de Marquisat à Capesterre-belle-eau. |
1970 : | Fermeture de la sucrerie Comté de Lohéac à Saint-François. |
1980 : | Fermeture de la sucrerie Darbousier à Pointe-À-Pitre. |
1990 : | Fermeture de l’usine sucrière de Beauport à Port-Louis. |
1994 : | Fermeture de l’usine sucrière de Grosse-Montagne au Lamentin. |
Seule source importante d’extraction du sucre jusqu’au début du 19e siècle, elle fut ensuite détrônée par la betterave à sucre. En Guadeloupe, en 2014, les plantations de canne représentent 50 % de la production agricole locale avec 5.000 planteurs, 12.300 ha plantés, 600.000 tonnes de cannes à Gardel et 63.000 tonnes de sucre produit (la moitié pour surface et tonnage par rapport à 1960).
Arrivées à la balance, les cannes sont pesées, puis on prélève un échantillon de cannes à l’aide d’une sonde mobile pour procéder à une analyse afin de vérifier la teneur en saccharose. L’usine paie ses cannes en fonction de la richesse en sucre et du poids.
Les cannes sont ensuite séparées, c’est à dire que les cannes non tronçonnées en longueur et les cannes tronçonnées doivent être déposées dans des entrepôts différents.
Les raisons sont les suivantes : les cannes tronçonnées ne doivent pas être lavées, sinon les pertes en sucre seraient élevées à cause des nombreuses extrémités, en outre elles sont moins sales que les cannes non tronçonnées. Par contre, les cannes non tronçonnées ne possèdent que deux extrémités et, elles sont beaucoup plus sales que les cannes tronçonnées parce qu’elles sont ramassées après la coupe par des machines. Ces cannes sont lavées.
Les cannes passent dans trois coupes cannes - défibreurs. Le but est de séparer les fibres de canne sans enlever le jus afin de faciliter l’extraction.
Par exemple, la canne est broyée une première fois entre le roll d’entrée et le roll supérieur et une deuxième fois entre le roll supérieur et le roll de sortie.
Au passage au deuxième moulin, la canne a déjà abandonné une bonne partie de son jus, mais il reste encore du saccharose.
Au passage au dernier moulin, on injecte de l’eau chaude (imbibition), et le jus récolté revient au niveau du troisième moulin. Le jus au troisième moulin étant trop dilué, est renvoyé au 2ème moulin. On récupère donc le jus du 2ème moulin et du 1er moulin. Ces jus subiront différents traitements pour les débarrasser de toutes impuretés.
La bagasse qui sort des moulins, sert de combustible à la chaudière qui alimente toute l’usine en vapeur ou est dirigée vers l’usine du Moule en Guadeloupe pour la production d’électricité. La vapeur réchauffe les jus, cuit le sirop, fait tourner le turbo qui produit l’électricité. La vapeur se transforme ensuite en eaux condensées qui retournent à la chaudière, ceci pour des raisons d’économies d’énergie puisque l’eau étant déjà chaude, il n’est plus nécessaire de la réchauffer.
LA BAGASSE
La Bagasse est l’un des résidus du processus de la fabrication du sucre à partir de la canne. Après le passage au moulin, jusqu’à 30 % des cannes sont transformées en bagasse. Ce composé, formé de fibres végétales broyées est un excellent combustible naturel pour bien des usines.
LA MELASSE
La Mélasse est un égout sucré et très visqueux, riche en impuretés, récupéré après cristallisation. Elle est de couleur noirâtre, à l’apparence d’un produit épais, avec une contenance en saccharose d’environ 35 % et 20 % de glucose. On compte 30 kilos de mélasse pour une tonne de canne. On peut en faire plusieurs produits :
- Ce sirop lourd appelé aux Antilles Sirop de batterie surtout produit à Marie-Galante.
- De l’alcool après fermentation,
- Des aliments pour bétail,
- De la levure boulangère.
LE VESOU
Connu sous le nom de vesou, le jus de canne est un liquide au taux de saccharose très élevé, couleur verdâtre et obtenu après broyage de la canne. C’est de lui que sera extrait le sucre brut.
LES VINASSES
Les vinasses sont des résidus de la distillation. En vertu de leur richesse en sels minéraux, les vinasses sont utilisées comme engrais pour enrichir les sols destinés à être cultivés ou comme aliment de bétail.
Rhum ! au nom évocateur d’exotisme, d’aventures et de mer des Caraïbes. Cette eau de vie de canne à sucre a accompagné les périples des marins, pirates, corsaires, flibustiers… mais aussi outre le bar familial, a été l’ultime "coup de courage” du condamné à mort mais aussi du poilu des tranchées de la guerre de 14-18 !
Il a donné naissance à une infinité de cocktails, de préparations médicinales, d’aphrodisiaques, liqueurs, punchs, planteurs...
Citons parmi les plus connus le “sec”, le ti-punch, le punch au bois bandé, le daïkiri, le cuba libre, la pina colada...
Le rhum vieux, comme le cognac ou l’armagnac, est un rhum blanc vieilli en fûts de chêne.
... et tout de suite les deux plus classiques locaux...
Ti punch
1 mesure de rhum, deux cuillères à café de sucre de canne, 1 morceau de citron vert. Ecraser le citron vert et le sucre avec une cuillère, ajouter le rhum, mélanger.
Planteur
1 mesure 1/2 de rhum blanc, 1 mesure de jus d’orange, 1 mesure de jus de goyave, 1 mesure de jus de fruit de la passion, ¼ de mesure de grenadine, 1 trait d’angustura, quelques gouttes d’extrait de vanille, saupoudrer légèrement de cannelle et de muscade.
Servir frais avec une rondelle de citron vert.
La Guadeloupe compte 6 distilleries en Guadeloupe continentale (distillerie Saint Séverin, distillerie Reimonenq à Sainte-Rose (musée du rhum), distillerie Montebello à Petit-Bourg, distillerie Longueteau à Capesterre-belle-eau, distillerie Damoiseau au Moule, distillerie Bologne à Basse-Terre) et 3 distilleries à Marie-Galante (distillerie Bielle et distillerie Père Labat à Grand Bourg de Marie-Galante et distillerie du domaine de Bellevue à Capesterre de Marie-Galante). Elles s’approvisionnent en canne à hauteur de 55.000 à 60.000 tonnes
Le rhum est obtenu par la fermentation directe du jus de canne frais. La récolte de la canne entre janvier et juillet doit être rapide afin de ne pas perdre la concentration en sucre, il faut 10 kg de canne pour obtenir 1 litre de rhum. Le jus de canne frais, ou vesou, est filtré avec précaution puis stocké dans des cuves en inox où, à l’aide de levures alimentaires, il fermente. A l’issue de la fermentation on obtient un vin de canne qui ne titre pas plus de 4 à 5 degrés, il est alors introduit dans les colonnes à distiller et chauffé. La “grappe blanche” qui est ainsi obtenue titre 70 degrés et il faut lui rajouter de l’eau de source ou de l’eau distillée pour en abaisser le titrage jusqu’à 50 à 59 degrés, le mélange est alors brassé puis mis en bouteille. Ce sont les levures, l’eau et la maîtrise de l’alambic qui vont donner son goût au rhum.
Une partie de la production fait l’objet d’un vieillissement (3 ans à 15 ans pour le millésimé) en tonneaux de chêne. Cette étape va donner au rhum son goût et ses belles couleurs caramel.
La Guadeloupe produit l’un des meilleurs rhum du monde.
Ce sont 2 catégories de rhum qui sont produites :
- le rhum agricole, fabriqué à partir de la fermentation et de la distillation du jus de canne après broyage.
- le rhum industriel ou rhum de mélasse qui est un résidu de la distillation du jus de canne qui sert à la fabrication du rhum agricole.
C’est le sirop provenant du jus de canne cuit dans lequel reste une partie du sucre non cristallisable et qui, distillé, donne du rhum industriel.
En 2003, 22.090 hectolitres d’alcool pur de rhum agricole ont été fabriqués et 33.725 hl (HAP) de rhum de sucrerie.
La Guadeloupe dispose de ce qu’on appelle un contingent, réparti entre les différents distillateurs. Pour le rhum agricole, ce contingent export est de 4500 hl d’alcool pur qui correspondent à 9000 hl de rhum de droit d’exportation vers la métropole sous un régime fiscal favorable (il faut 2 litres de rhum à 50 degrés pour faire 12 litres d’alcool pur). La Guadeloupe produit 26.000 hl d’alcool pur de rhum agricole (soit 52.000 hl de rhum agricole), 9000 hl font partie du rhum contingenté et 9000 hl du rhum exporté hors contingent, c’est-à-dire sous un régime fiscal où les droits sont un peu plus élevés. Ce qui reste, 8000 hl, sont consommés en Guadeloupe. Pour le rhum industriel, le contingent est de 25.000 hl d’alcool pur (5 millions de litres de rhum). La Guadeloupe produit 41.000 hl d’alcool pur de rhum industriel, ce qui signifie qu’une bonne partie est exportée hors contingent.